- La vie à l'ENP -
(en bas de page souvenirs & anecdotes)

  • En 1958 l'hexagone compte une vingtaine d' ENP : Voiron, Armentières, Vierzon, Nantes, Epinal, Tarbes, Egletons, Lyon La Martinière,
    St Etienne, Metz, Nancy, Creil, Oyonnax, Egletons, St Ouen, Limoges, Thiers, Morez, Dellys, Bourges, Vizille, Poligny, Strasbourg,
    et bien sûr Chalon sur Saône crée en 1930. Seulement 6 établissements accueillent les filles !

  • A l'époque, et aujourd'hui encore hélas, il est d'usage de dire que " le technique est la seule voie pour ceux qui ne peuvent rien faire d'autre !"
    Et pourtant, la très grande majorité des camarades sortis des ENP ont fait de brillantes carrières dans les métiers les plus divers !
    En 1961 les ENP deviennent des Lycées Techniques d'Etat, et sont créés les premiers BTS.
    Dans les années 60, au sortir de l'école, on trouve et on change d'emploi très facilement ; Heureuse époque ! De nombreuses entreprises, on ne parle pas encore de multinationales, comme Sollac, Renault, etc., représentées par d'anciens ENP, viennent à l'école démarcher les futurs diplômés.
  • Entrer à l'ENP c'est d'abord réussir le concours d'entrée (1600 places au niveau national pour 5400 candidats en 1956), puis obtenir une moyenne minimale de 12/20 pour passer dans la classe supérieure et enfin réussir l'examen de fin de cursus. Il faut rappeler que le diplôme ne s'obtenait pas sur le seul résultat de l'examen de fin d'étude, mais sur l'ensemble des résultats de l'année de Première (coeff 1) de l'année de Terminale (coeff 2) et de l'examen de fin d'étude (coeff 1 ),et que chaque année le 1er trimestre comptait Coeff 1 le 2ème trimestre Coeff 2 et le troisième coeff 3.
    A partir de la seconde une sélection s'opère : les TI d'une part et les TM d'autre part qui eux préparent le Bac Technique et l'entrée aux Arts & Métiers.
  • A cette époque la vie à l'ENP est d'une rigueur quasi militaire : du réveil au coucher tout est rythmé par le " beuglante ", tous les déplacements sans exception se font en rangs par 2 et en silence, uniforme avec casquette obligatoires (pour les internes), trousseau similaire au paquetage du bidasse, blouse grise et cravate de rigueur. Interdiction de parler sauf en récré et au réfectoire.
    Sortie dans la famille 1 fois par mois, toutes les semaines à partir de la rentrée de 1957, (à condition d'avoir de bonnes notes et aucun manquement à la discipline). " Une certaine année je me souviens n'être rentré chez moi qu'à noël, Pâques et grandes vacances, et encore parce-que l'internat était fermé !

  • Dès les premiers jours de la rentrée ce nouveau rythme de vie s'impose à nous, et les anciens y participent par un bizutage en règle, surtout pendant la récré du soir, du genre mesurer la longueur du préau avec une allumette, ou mieux le périmètre des chiottes avec un carré de chocolat, déclaration d'amour au plus moche des anciens et chanter les Saints du calendrier sur l'air de la Marseillaise etc. !
    Définition du bizuth : c'est la dix-millionième partie du quart du téton gauche d'un puceron mâle passé à la raboteuse pendant 107 ans et rectifié au papier de verre triple 0 pendant 30 ans !!
    A table les anciens se servent en premier ! Ça zibe sec ! " T' es en quelle classe ? 4ème ! > t'auras 4 frittes ! "

  • Les loisirs à l'école sont limités à la promenade du jeudi et du dimanche ; direction la Prairie où Chatenoy encadrés par le " pion ", et la promenade, où qu'elle aille était toujours rejointe par le " pépère " au triporteur qui venait vendre ses esquimaux ; Pendant la récré, le tarot est de rigueur.
    Pas de sorties en ville sauf à avoir un correspondant qui vient nous chercher à l'école ! A partir de la seconde on peut sortir seul de 14h à 17h, en uniforme, à condition d'avoir un correspondant à qui il faut faire signer le bon de sortie, et surtout avoir passé le barrage du " surgé " qui vérifie tenue, notes de classe et de conduite ! ; Cinéma, bistrot, piscine dans la Saône, sport scolaire pour les plus valeureux.
    A partir de la 1ère, et le règlement s'étant assoupli, nous pouvons sortir en civil. C'est top car on ne se fait plus traiter d'éclusier, par les péquins de Chalon, à cause de nos casquettes !
Ballade à la prairie
Un jeudi après-midi au bistrot "chez Colette"
Rugby avec "Gazier"
  • Les repas ont la qualité d'une cantine de l'époque, correcte sans plus; (sauf le jour ou des chenilles vivantes accompagnent le chou-fleur) - Un jour le beurre est remplacé par du Planta ; " les élèves préfèrent! " Dixit le dirlo ; tu parles ! sans oublier La fameuse purée de pois cassés Saint-Germain Mousseline (dont l'odeur faisait penser à tout autre chose).
    On améliore l'ordinaire avec la " beurse " qui est interdite, mais beurre, saucisson et autres gâteaux circulent sous le manteau ; Parfois tout notre stock a disparu ! L'intendant, "Pied d'alu", est passé par là !
    On se ravitaille aussi chez le concierge qui vend friandises et produits divers pendant la récré.

  • Coté hygiène, on se lave le moins possible ! L'eau est froide ! Mais on a droit à une douche par semaine ! On n'a pas la peau sèche ! Un bonheur pour les dermatos d'aujourd'hui ! Le scénario de la douche :
    Au signal …mouillez vous !….Ouverture des vannes
    Fermeture des vannes …. Savonnez vous !
    Au signal …rincez vous… ! Ouverture des vannes
    Fermetures des vannes ….au suivant ! Après ça le service militaire…… une simple formalité.

  • Ah j'oubliais : les WC c'est comme la cabane au fond du jardin de Laurent Gerra ! Aujourd'hui, c'est un scandale quand il n'y a pas de PQ dans les toilettes sur les aires d'autoroutes, et ceux qui pratiquent la randonnée savent bien combien de feuilles de PQ se cachent derrière chaque buisson.
    Mais, bonsoir de bonsoir comment faisaient donc les gars de la prof ?? PQ ….c'est quoi ??
  • Vu le manque de distractions on s'amuse comme on peut ; Blagues douteuses de potaches !!
    Au dortoir, environ 50 lits, le pion dort parmi nous isolé par 3 rideaux ; Une fois qu'il ronfle, on arrive à mettre son lit sur 4 pantoufles et le faire glisser doucement jusqu'aux lavabos ou il finira sa nuit ; ainsi privé de réveil matin nous gagnerons quelques minutes de sommeil et bien évidemment une " coince " générale pour le jeudi suivant car personne ne se dénonce! Plus vicieux : une pièce de monnaie entre la douille et l'ampoule de sa lampe de chevet ! Quand il a éteint les lumières du dortoir et qu'il allume la sienne ……. !
    En étude on fait passer " la teuss " rangement des casiers ! La manip consiste à tout sortir puis à tout ranger en faisant le plus de bruit possible ! Le pion adore! Le coup des billes sous les pieds du bureau du pion, qui est sur une estrade, était pas mal non-plus.
    En ballade on fait l'accordéon : ceux qui sont à l'arrière ralentissent, le pion vient en queue pour faire serrer les rangs, alors ceux qui sont en tête avancent à toute vitesse, et le pion cavale vers l'avant pour les freiner et ainsi de suite ; Une fois, deux fois, et pour finir ils viennent à deux pions dont un en scooter ! La fête est finie !

1958 en attente de sortie

Foxie en action

Tarot en salle 18

  • Les externes nous rapportent quelques nouvelles de l'extérieur, mais en réalité nous sommes totalement déconnectés de la société civile et de l'actualité pourtant dense durant cette période. Pas de journaux ni même de bibliothèque dans l'école.
    Il faut quand même rendre à César ce qui est à Jules. A la suite de la grève des anciens en 57, je crois .(Ce qui prouve le gros Dany n'a rien inventé en 68), on a eu accès à la salle de dessin du père Schemberg le dimanche matin, sans doute sous certaines conditions, puisqu'il y avait normalement 3 heures d'étude le dimanche matin, et là, nous avions au moins 5 exemplaires de Paris Match dans lesquels on pouvait apprendre partiellement ce qu'avait été la bataille de Dien Bien Phu, c'est dire qu'ils avaient servi, et où on avait le droit d'allumer un transistor (un de nos copains avait un mini Hitachi). Quant à la télé, arrivée aussi après la grève elle était dans un amphi et accessible dans des conditions très encadrées.

1958 Bertrand

1957 en plein effort

3ème - Buffet Ardouin Corneaux
  • La journée type à l'internat était la suivante :
    • Réveil 6h Il faut défaire son lit sinon le pion le vire, torse nu passage aux lavabos collectifs, pas d'eau chaude, (passage est le mot qui convient surtout en hiver), refaire les lits au carré, et enfin direction le vestiaire puis la " cordonnerie " ou sont stockées nos chaussures ; imaginez l'odeur ! chaque déplacement en rangs, en silence et au signal du pion !
    • Etude de 6h30 à 7h30, puis petit-déjeuner, et récré
    • Cours de 8h à 12h, repas, puis récré de 13h à 14h
    • Reprise des cours de 14h à 18h avec une pause goûter : un morceau de pain et une raie de chocolat ou une Vache qui Rit, sans oublier la pâte de fruit " Duchesse de Bourgogne ", ça marque un homme pour la vie !
    • Fin des cours, de nouveau récré, étude de 18h15 à 19h15, repas, récré et enfin étude de 20h à 21h.
    • Retour au dortoir via la cordonnerie et le vestiaire, lavabos ; Et toujours déplacements en rangs, en silence et au signal du pion ! Extinction des feux il est 21h30 !

    • Le dimanche lever 7h, mais 3h d'étude le matin ! A 13h30 on va revêtir l'uniforme pour pouvoir aller en ballade, sortir en ville ou aller voir un match de rugby, selon l'humeur du pion.

  • En résumé 8h de cours tous les jours sauf jeudi après-midi et dimanche, Soit 40 heures de cours par semaine, puis 43h avec le samedi après-midi en TI et terminale.
    Donc au total 64 heures de cours et d'étude par semaine ! En ces temps lointains, on ne parlait pas de la réforme des rythmes scolaires !

1958 c'est qui ce bosseur ? c'est le Tam !
  • Les matières qui nous sont enseignées sont : Français, Anglais ou Allemand, histoire géographie, mathématiques, physique, chimie, dessin d'art, dessin industriel, technologies, métallurgie, géométrie descriptive, électricité, schématèque et mécanique ou il faut jongler avec les CGS, MKSA, SI et autres Crémona !
    On a le " libre choix " de la langue, Anglais ou Allemand ; le 1er jour de cours la majorité s'étant portée coté Anglais, les derniers de la file sont envoyés en Allemand afin d'équilibrer les classes. Circulez, et silence dans les rangs !

  • A l'atelier, 12 heures par semaine, on apprend toutes les techniques.
    • D'abord l'ajustage : on essaye de limer plat ; on utilise la sanguine pour vérifier la planéité ; " c'est de la jutte de pinceau " dixit Lafouge. Et coup de pied aux fesses si mauvaise position devant l'étau ! Au-dessus des établis il y a une petite pancarte (que l'on voit sur certaines photos des ateliers sur le site) sur laquelle on devrait lire " Pour buriner mettez vos lunettes ". bien sûr, comme une lettre a été effacée devinez laquelle ? c'est bien plus amusant.
    • Tournage : d'abord avec la plane ; attention aux oreilles si elle engage, et à la cravate qui risque de s'enrouler sur la pièce en rotation ! Furette veille !
    • Rabotage : à l'étau-limeur on réalise des parallélépipèdes avec rainures qui servent aux premiers exercices d'ajustage.
    • Rectifieuses : des petites rectif planes LIP très pratiques pour pallier nos lacunes en ajustage, ensuite deux coups de lime à traits croisés et le tour est joué ! La rectif cylindrique est au fond de l'atelier près de la voie de chemin de fer ; quand le train passe les vibrations qu'il engendre se répercutent sur nos pièces !
    • Fraisage : ça devient sérieux ; il y a aussi la machine à tailler les pignons, on regarde, c'est Lévy qui officie ; La raboteuse est capricieuse : le mouvement alternatif de la table est commandé par un changement de poulie de la courroie, quand elle saute la table fini sa course par terre !
    • Traitements thermiques avec " la morue " rouge cerise, jaune paille, etc.
    • Forge : peu de souvenirs.
    • Technique auto : on démonte et remonte des moteurs hors d'âge (V8 Ford) ; A la fin il reste toujours quelques boulons qu'on planque dans la fosse !
    • Menuiserie : c'est le royaume des " charrons " tenons, mortaises, modelage ; Givors se prépare pour meilleur ouvrier de France avec l'aide de Narcisse.
    • Electricité : on apprend à câbler sur des panneaux, on fabrique un fer à souder et surtout on bobine des moteurs avec des carcasses fournies par la CEM , lesquels iront animer les étaus-limeur de nos amis mécaniciens. Une grosse partie de la pratique se fait dans la salle des machines électriques (moteurs et génératrices), mesures, couplages etc…
    • En dernière année certains élèves participent à l'assemblage des étaus-limeur qui est confié au centre d'apprentissage ; Ces machines (revendues à d'autres écoles) sont constituées de pièces réalisées par les élèves de l'ENP, la fonderie venant des Arts & Métiers de Cluny ; comme ça coince un peu, beaucoup ? on monte le tout avec de la pâte à roder !!! après quelques heures de marche à vide on démonte, on nettoie, et enfin on remonte l'ensemble, et ça fonctionne nickel ; Fierté !
      A la récré on quitte la blouse et on va en douce boire un blanc cass au bistrot d'en face avec le prof ; il y a du laisser-aller ! ; Les prémices de mai 68 ??

Le Dékalomètre !
Les indispensables : Boîte de compas (Desjardin- mon grand-père avait la même!!), Té, équerre, plumes à palette ( les ancêtres de la CAO ! )
& Pied à coulisse (Roch Junior), règle à calculer (Graphoplex) et l'équerre fabriquée par nos soins à l'atelier ( notre premier travail ).

Les éléments de langage usités à la Prof, liste non exhaustive (contribution de Jean Dunand)

  • Dernière ligne droite ; Enfin nous arrivons au dernier trimestre de l'ultime année! La GDKL approche, on prépare l'examen de fin d'études ainsi que le Père-Cent et la carte de promo! On répète la pièce que l'on va jouer au théâtre de Chalon devant parents, amis et professeurs ; Une première dans les annales de l'ENP.
    Dékalomètre autour du cou, (un mètre de couturière 2 bouchons d'encre Waterman) on coupe chaque jour pendant 100 jours un centimètre de ruban pour mesurer avec précision le temps qui nous sépare de la Quille !
    Et puis tout va très vite, examens, diplôme, on fête l'évènement, on promet de se revoir, et chacun rejoint ses pénates.
    Libres ,enfin libres, …...... pas pour longtemps !
  • Après quelques semaines de vacances, certains partent au service militaire : même motif, même punition, mais pas de problème, coté discipline après 5 ans d'ENP on est rôdés.
    D'autres intègrent le monde du travail, et là surprise, on ne se sait rien faire ! il faut tout réapprendre, les machines, la production, etc. Mais très vite on s'intègre et l'entreprise nous forme, à l'époque on ne recherche pas de jeunes sur diplômés sortant de l'école avec 3 ans d'expérience minimum ! Très vite on se rend compte que la formation reçue à l'école nous permet de nous adapter facilement aux métiers les plus divers, souvent fort éloignés du technique, et d'en gravir les échelons. C'est parti pour une longue carrière.........


  • Voilà, ces quelques lignes résument nos souvenirs de ces cinq années passées à Chalon
    Alors, 50 ans plus tard, imaginez un seul instant les élèves d'aujourd'hui, nos petits-enfants, avec une telle discipline, sans télé, ni tablette ni smartphone ?? Mais papy ? c'était pire que le goulag ??
    Mais pour nous les anciens, avec comme toujours le seul souvenir des bons moments, c'était chouette l'ENP !

Contribution collective de la promo Rabaté - 2014


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